Florence Marek dans Francofans

 

Serge Utgé-Royo dans Francofans

Article paru dans Francofans N°6 (Nouvelle Formule) - Serge Utgé-Royo, Août 2007

Chanteur engagé, chantre anarchiste, poète libre et libéré de bien des contraintes liées au petit monde du show business, on pourrait décliner à l'envi les dénominations propres à décrire Utgé-Royo, si tant est que l'une d'entre elles le définisse tout à fait. Touche à tout, l'artiste s'est essayé à tous les arts : si la chanson et l'écriture restent ses domaines de prédilection, il a su aussi, avec bonheur, s'essayer à la comédie ou à la carrière de romancier, un talent multifacettes qui a cependant pour dénominateur commun de s'intéresser toujours, de très près, à l'engagement, au combat contre l'injustice ou contre la misère sociale.
Difficile donc de retracer cette carrière aux allures d'épopée en quelques instants, même si la rencontre est, à l'aune, de ses chansons, généreuse et remplie d'une humanité débordante. Difficile de décrire une telle aventure qui séduit un public fidèle depuis de nombreuses années. Pourtant, au départ, l'histoire est simple. Elle commence au milieu des années soixante-dix quand Serge Utgé-Royo, fils d'immigrés Catalans qui ont fui l'Espagne de Franco, a ressenti le besoin d'exprimer par la chanson - une forme de révolte, au fond - les sentiments qui bouillonnaient en lui. Quand on lui demande comment "tout ça" est venu, il répond qu'il ne sait même plus et, dans un sourire, il explique : "Je suis un vieux chien, il y a très longtemps... C'est probablement le désir de m'exprimer, de sortir ça de moi. J'ai de la chance, je fais une psychanalyse et je suis payé pour ça ! Je rentre à l'intérieur et je vois tout ce que je digère de ce que je lis, de ce que j'entends, des échanges que j'ai avec les humains, de ce que les informations m'apportent, de ce qu'est le monde, de ce que m'ont transmis mes parents ainsi que tous les gens que j'ai rencontrés. Tous ces gens m'ont enrichi. J'ai commencé à écrire pour retranscrire mes interrogations." Ce parcours, pour lui, n'a rien d'extraordinaire, comme si la curiosité seule imprimait ce désir d'aller plus loin et de retranscrire de façon plus ténue ce que lui inspirait le monde. Il se considère comme "un citoyen tout à fait normal qui s'occupe de sa société et qui écrit, qui met en musique et qui chante tout ce qu'il voit, tout ce qui le fait réagir, tout ce qui le met en colère, tout ce qui l'attriste, tout ce qui le met en joie". Il considère comme une "chance" le fait de "pouvoir s'exprimer dans ce domaine de l'écriture et du verbe chanté".
Son répertoire, forcément, reflète ses visions de la société. C'est un prisme complexe dans lequel se trament à la fois des compositions originales mais, aussi, un panel de reprises qui appartiennent à la mémoire collective, à la mémoire des luttes et des combats sociaux qui ont émaillé notre histoire, que l'on soit d'ici ou d'ailleurs. Dans "Les contrechants de ma mémoire", un disque en deux volumes regroupés, par la suite, dans un coffret illustré avec talent par le célèbre Jacques Tardi, Utgé-Royo reprend les airs connus et moins connus qui font intimement partie de notre héritage qu'il soit, d'ailleurs, militant ou non. "Le patrimoine a été la première base sur laquelle je pouvais m'appuyer, explique Serge, c'était ce qui était en train de me construire. [...] Je suis parti de l'exil de mes parents, pour dire les choses clairement. Mais parents sont des exilés et moi, je suis donc un immigré de la deuxième génération, je suis un "beur espingouin" ! Ces gens m'ont construit, m'ont dit des choses qui résonnent encore en moi sur l'égalité des individus." Souvent, les chansons font écho à ce passé, à l'histoire personnelle du chanteur, aux années sombres de la Guerre Civile Espagnole. Serge Utgé-Royo chante aussi pour "dire à des plus jeunes qui écouteraient par hasard ou par effraction [ses] chansons qu'il a une identité et qu'eux aussi en ont une." Très vite, la conversation roule sur les jeunes de banlieue, la fameuse deuxième, troisième génération, sur leur désarroi, sur leur manque de perspective, sur le "trop plein de misère" qui a conduit aux émeutes de novembre 2005. Au détour de ces mots, les chansons évoquant la Commune prennent tout leur relief, toute leur actualité même si le contexte se révèle bien différent. Serge aborde les problèmes de la société, comme ils viennent. Il explique ainsi : "Cela ne me dérange pas que l'on dise que je suis un chanteur engagé mais, ce que je dis est bien plus politique que ce que je chante. Sur scène, je parle de l'actualité et les gens me répondent mais je ne roule pour personne alors, ça devient un meeting très large d'idées". Quand on lui demande s'il se considère anarchiste, il répond simplement : "La philosophie anarchiste me paraît la moins contraignante. Nous devons nous persuader de faire notre révolution nous-mêmes. Nous devons grappiller un peu, pas pour être plus importants, mais pour être heureux, épanouis, pour comprendre mieux les autres. J'ai compris cela dans la philosophie libertaire."
A côté des enseignements du passé et des enseignements politiques qui prennent, dans la poétique de l'auteur, une réelle dimension philosophique, on découvre, sans grand étonnement d'ailleurs, une passion viscérale pour la littérature, pour les mots. Pour lui, avant tout, "la parole, l'écrit est une arme pacifique magnifique. Elle est une arme pour se battre contre les moulins à vent des idées reçues, mais aussi pour se construire et se faire comprendre." Réinvestie dans l'écriture, elle devient parfois presque un jeu, à l'image des textes de Jacques Prévert ou de Boris Vian qu'il affectionne tout particulièrement : "J'écris en vers libres, parfois, c'est à double sens, il y a des astuces de langue qui ne peuvent être décryptées qu'écrites". Pour lui, une chanson, "c'est d'abord du texte, du verbe", certains textes recueillis dans "L'Espoir hésite" aux Éditions Christian Pirot n'ont jamais été chantés. Le travail d'écriture s'avère primordial pour lui : "Parfois, je passe dans la rue, je vois quelque chose qui m'interpelle, je me mets dans un coin pour écrire, j'ai du papier partout. Je travaille beaucoup. J'ai un paquet de notes illisibles desquelles je tire une phrase, deux phrases." Il conçoit son travail ainsi : "La lecture, d'abord, le plaisir de l'écriture peut donner la lecture, la lecture peut devenir de la parole et la parole peut devenir du spectacle. J'écris pour être lu, pas uniquement pour être écouté. J'ai une palette qui me plaît bien, qui m'enrichit bien. J'ai envie de transmettre des idées, de la réflexion mais aussi, éventuellement, du plaisir."
C'est ce même plaisir qu'il prend et qu'il diffuse quand il joue des pièces de Brecht ou de Kateb Yacine, quand il écrit un conte ou quand il reprend des chansons du grand Léo Ferré. Tout est dans le texte, dans l'émotion que transmet immanquablement le plaisir des mots mais aussi leurs accents de vérité et de réalisme comme ces textes de Zola qui l'ont marqué dès son plus jeune âge. La littérature prend également une grande place dans sa vie par sa dimension stylistique, certes mais aussi du fait des situations qu'elle donne à voir, des réalités contrastées, parfois contraire à l'idée reçue. Lui-même auteur d'un roman historique, "Noir Coquelicot", il s'est confronté à cet autre versant de l'écriture, reprenant les fils de l'Histoire - entre les années 1922 et 1924 -, se livrant à des recherches très précises. Une façon peut-être de travailler sur la mémoire, de se plonger dans des souvenirs qu'on lui a transmis au sujet d'un autre pays, d'une autre époque, de cette cruelle année 36. Mais, au fond, la mémoire sociale n'est-elle pas universelle, les guerre et les révoltes ne se confondent-elles pas dans le prisme d'une histoire sociale tourmentée ? C'est encore un lien vers les autres, vers d'autres humains, vers le dessinateur Tardi qui partage avec lui cette même conscience de la "mémoire sociale" qu'il a su si bien rendre dans ces bandes dessinées de "C'était la guerre des tranchées" au plus récent "Cri du peuple" dans lequel Utgé-Royo apparaît furtivement, comme un clin d'oeil. Un soir Tardi est venu le voir en concert et l'évidence s'est imposée : les deux hommes parlent la même langue, explorent les mêmes travées et illustrent, à leur façon, les dérives des siècles barbares.
C'est cette famille d'idées que le public d'Utgé-Royo aime retrouver à chaque concert. Que ce soit sur les scènes parisiennes comme le Vingtième Théâtre, l'Européen, le Cabaret Sauvage ou lors de tournées, les amateurs retrouvent fidèlement le chanteur et lui vouent une amitié sincère. Ils écoutent avec plaisir ces chants empreints de poésie, de mémoire, d'une émotion que Serge Utgé-Royo distille avec un véritable talent tant quand il chante que quand il parle, quand il raconte avec émotion les injustices de l'Histoire et les imbécillités de la guerre. Ils écoutent et s'enivrent peu à peu de la justesse des mots doux, s'emparent des armes - toujours pacifistes !- de la révolte et se prennent, comme nous d'ailleurs, à rêver d'une société plus juste, plus belle. En somme, ils se plaisent à rêver de liberté.
Florence Marek

 

Hubert-Félix Thiéfaine dans Francofans

Artcile paru dans le N°23 de Francofans

LICENCE POETIQUE

 

A l'aube de sa nouvelle tournée consacrée à l'album « Scandale Mélancolique », nous avons rencontré Hubert-Félix Thiéfaine à Paris. Impressions à chaud au moment des répétitions.

 

Personnage, s'il en est, Hubert-Félix Thiéfaine éclaire la scène française depuis de bien des années déjà. Auteur, à l'automne dernier, d'un quatorzième album studio, "Scandale Mélancolique", il continue à offrir un répertoire hors normes, truffé de références littéraires et de riffs à tendance rock, un univers particulier qui attire depuis toujours un public de fans souvent inconditionnels.
C'est au détour de la préparation de la tournée de "Scandale mélancolique" que nous l'avons croisé, à Paris, en pleine répétitions, en pleine effervescence alors qu'il a dû, dans l'urgence, après le désistement de Philippe Paradis, le réalisateur de l'album, remonter un groupe avec lequel il figure sur scène. De ce contretemps terrible semble être née une émulation assez conséquente que Thiéfaine explique ainsi : "C'est un groupe d'enfer. Pour la première fois, je crois, je suis vraiment chanteur d'un groupe et non plus un chanteur accompagné par des musiciens." Ces musiciens viennent d'univers assez différents : il s'agit d'Arnaud Giroud, à la basse, Bruce Cherbit à la batterie, Christopher Board - ex-Innocents - aux claviers et enfin Yann Péchin - qui a notamment travaillé sur le dernier Bashung - à la guitare. Tous, au final, sont marqués par un fort esprit rock, ce que recherchait indubitablement Thiéfaine et ce, depuis la composition de l'album. En effet, il imaginait "Scandale Mélancolique" comme un oxymore aussi bien du point de vue du titre que du point de vue de la musique : comme une opposition systématique entre la profondeur des textes et l'énergie contenue dans les riffs. Pour lui, "il y a encore beaucoup de choses à prendre dans le rock". Il se dit un peu déçu de la tendance "rive gauche" de la scène actuelle et avoue avoir travaillé "comme un galérien pour remettre des mélodies dans une ascension rock" lors de l'enregistrement de l'album.
Le rock, c'est, pour lui, une passion inaliénable, une façon aussi d'aborder son existence de façon autre, en rendant hommage à des "modèles" comme Jim Morrison, Mick Jagger, Bob Dylan et tant d'autres mais aussi en se vouant totalement à cet amour de la poésie qu'on lui connaît si bien, pour Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, mais aussi pour Céline, Roger Gilbert-Lecomte ou encore Henry Miller, Burroughs ou Bukoswsky. Il voit sa vie comme une vie faite de "rock'n'roll et de poésie". Il ajoute : "Je suis un passionné et j'ai beaucoup de passionnés dans mon public. Ce qui m'intéresse c'est d'être Thiéfaine et pas six milliards de mecs". Il conclut avec la pointe de cynisme qui le caractérise si bien : "Le monde peut s'écrouler, je resterai avec ma guitare, seul sur scène".
Et c'est peut-être sur scène qu'il exprime le mieux cette part de défi, de challenge qu'il veut retrouver comme une émotion première. Chaque fois qu'il monte sur scène, il ressent le trac comme à la première fois, il aime "prendre des risques", c'est même, selon lui, une adéquation immuable avec l'esprit rock qui va habiter cette nouvelle tournée.
A côté des standards que son public attend, il compte présenter un tiers du nouvel album dont il a travaillé huit chansons : "six officielles et deux [qu'il] travaille tout seul". Le dernier tiers du programme comporte de vieilles chansons comme "Psychanalyse du singe" ou "Première descente aux enfers", retravaillées sur un mode, une fois encore, très rock. Sur les répétitions de ce groupe qu'il vient de monter, il décèle "une musique apurée" qui lui plaît beaucoup, qui correspond à ce qu'il voulait. L'histoire de ce groupe, monté en trois jours, s'avère déjà assez incroyable, mais, Thiéfaine croit aux miracles. Selon lui, "le fait d'être speed, dans l'urgence, crée des choses". Une émulation sans doute que son public a hâte de découvrir. La tournée sera longue, une fois de plus. Des dates s'ajoutent tous les jours et l'on sent chez Hubert-Félix Thiéfaine un plaisir non dissimulé de cette nouvelle rencontre.
Il n'envisage cependant pas sur scène le principe de l'album qui tourne autour de nombreux invités et de nombreuses collaborations musicales dont l'une des plus réussie est peut-être "Télégramme 2003" avec Elista, dont le texte est dédié à Bertrand Cantat.
Les textes demeurent une singularité très appréciable dans son répertoire et jouent pour une bonne part dans le succès de l'artiste. Il compose soigneusement en jouant avec les sonorités, avec son kaléidoscope familier de références littéraires qu'il distille à l'envi. Souvent, une référence est glissée subrepticement sans être forcément interprétée. Et c'est ainsi qu'à côté d'une évocation à peine de voilée de Rimbaud, on trouve une référence à un roman d'Hubert Selby Jr. "Last exit to Brooklyn", savamment déguisé en « Last exit to paradise ». Thiéfaine aime les oeuvres littéraires et lit beaucoup dans un champ très large. C'est peut-être de cette assimilation progressive que vient cette accroche quasi permanente : ces oeuvres, ces romans font partie de sa vie. De fait, la création poétique l'occupe beaucoup. Il travaille, au départ, sans but précis. "Je ne pars pas avec un thème défini. Tous les thèmes sont abordables. Je pars, je délire. Je pars toujours de cette autorisation de délirer que je me suis accordée il y a très longtemps" (c'est le titre de son deuxième album). "A partir de là, je taille, je corrige, je taille dans le texte ou dans la musique. Je ne me pose pas de questions. J'écris comme un bluesman ou un musicien prend sa guitare. Après, seulement, je mets ça en ordre. Sur le moment, je sais juste la musicalité d'un mot. Je m'interdis de chanter en yaourt. Chez moi, je me laisse aller à faire le boeuf tout seul, j'ai envie de chanter, alors, je balance des mots, les mots en entraînent d'autres et j'arrive à un certain délire". Il conclut avec humour : "Après six ans de psychanalyse, trois ans d'étudiant en psychologie, je trie tout ça et je fais des chansons!" Il ajoute avec un sourire : "Je ne me fous pas de la gueule de mes clients, il en ont pour leur pognon!"
Pour certaines chansons, il avoue avoir de nombreux couplets supplémentaires qu'il a dû mettre de côté. Il ne compose jamais en tournée mais, pendant la tournée en solitaire, pour la première fois, quelques idées lui sont venues comme la sonorité "belles, elles" que l'on retrouve dans "Gynécées", un très beau morceau chanté en duo avec Cali.
Contrairement à l'idée communément reçue, ses textes ne sont pas aussi noirs qu'on veut bien le dire. Thiéfaine relève ce paradoxe : "Je suis abominablement noir mais, je suis aussi un abominable optimiste. Je suis d'un optimisme effrayant, parfois. Je ne crois plus du tout aux choses, mais je garde espoir".
Et, à nouveau par cynisme, par dérision, il propose de se présenter aux élections présidentielles sous la bannière d'un partie "Solitude et mélancolie". Plus sérieusement, il critique ouvertement la nouvelle loi proposé quant au téléchargement légal. Il fustige cet "état de droit qui disparaît au profit d'un état voyou" et exprime de tangibles et légitimes craintes quant au devenir des artistes si cette loi passait. En concert, entre les chansons, il ne manque pas de gratter le politique où ça le démange. Il écorne avec une ironie acérée les institutions frileuses, les hypocrisies de l'Eglise et les politiques absurdes. Il se défend, pour autant, de faire de la démagogie et fustige tout autant ces "révolutionnaires en charentaises" contre lesquels il a une dent depuis 1968.
Il préfère, de très loin, cultiver son personnage atypique et nourrir un univers déjà foisonnant. Attendu au tournant à chaque album, à chaque tournée, à chaque nouvelle sortie, il n'en demeure pas moins fidèle à sa ligne d'origine et prend les virages musicaux quand il les sent nécessaires. A l'heure où sort aujourd'hui une deuxième biographie concernant "le personnage", tout semble avoir été dit. Pourtant, il reste une part d'ombre indéniable, des textes d'une richesse infinie que personne n'a pu sonder de manière exhaustive.
Quand nous nous quittons jusqu'à la prochaine fois, que je laisse Hubert, comme l'appellent ses proches, dans le hall de cet hôtel, la mélancolie m'assaille. Nous n'aurons pas épuisé, une fois encore, la richesse de la conversation, les projets, les envies, les énigmes. Heureusement, quelques dates de concerts se profilent, et, l'occasion n'en doutons pas, de vibrer aux tempos rock de son show. Comment dit-il déjà ? Ah oui, "rock'n'roll et poésie". Pour une devise

A découvrir le Dossier Bérus (numéro 23), le commander ? Et bien d'autres : le dossier Fatals Picards, les articles sur Armand Gatti, Maximum Kouette, Benoît Doremus, Les Blérots de R.A.VE.L et bien d'autres....

 

Avec les Bérus, c'est une longue histoire...